Elle a les yeux mitraillettes et les talons ailés, une grenade dans le corsage et un cœur gros comme ça. La Lupi a le flamenco dans les veines et que ne donnerait-on pas pour quelques centimètres cubes de transfusion… Dès l’instant où elle apparaît, elle est en connexion totale avec le public. Elle le tient dans sa mire et ne le lâchera plus.
Son premier défi en ce samedi de Pâques a consisté à se mouvoir sur un espace de douze mètres carrés avec une « bata de cola » la robe avec l’imposante traîne de volants. Elle a choisi pour cela la Bulería. Une danse très tonique qui en principe ne s’accommode guère de vingt kilos de tissus à déplacer. Pourtant elle réalise la performance dans sa tenue mordorée, majestueuse, viscérale, excessive, élégante. Et ce regard comme un harpon qui ponctue ses breaks foudroyants ! Dans la Caña elle se présente en tenue torera avec le sombrero cordobès et enchaîne les séries de tours vertigineux avec les jeux de cache cache derrière ce chapeau qui semble avoir une vie propre mais qui en fait lui obéit aux doigts et aux clins d’œil. Ses mains racontent une infinité d’histoires. Quand elle prend le temps d’enfiler ses castagnettes, insolente et gracieuse, un frisson parcours la salle. On sait qu’elle est capable de prouesses rythmiques et de merveilles de dentellière et encore une fois elle étonne. Pour sa dernière danse elle annonce « Tangos » comme une évidence et la voilà en matrone andalouse roulant du bassin avec l’impudeur de celles à qui on n’en conte plus. L’esprit des Tangos flamencos des origines et leur truculence se matérialise alors. Et les minauderies à l’éventail n’y feront rien. La Lupi danse et le monde tremble. Si ses qualités de comédienne sont évidentes, la richesse de sa technique de danseuse est impressionnante. Rien n’est laissé au hasard, et c’est une performance physique qu’elle accomplit.
Avec Curro de María, son guitariste attitré, la complicité est proche de la fusion, mais avec Gabriel de La Tomasa qui l’accompagne pour la première fois, le lien est aussi très fort, fait de respect autant pour le chant que pour la personne. Ce sont deux artistes de très haute volée. La guitare de Curro est une malle au trésor qui déborde de générosité, sensibilité et musicalité. Gabriel porte haut le flambeau de sa lignée d’artistes. Avoir ses ascendants directs dans les livres d’histoire du flamenco doit peser lourd mais sa voix est claire, assurée, ses choix sont judicieux, ses interprétations exquises.
La Lupi est chez elle à Rivesaltes. Lorsque qu’elle n’avait pas encore la notoriété que lui confère son nouveau titre de chorégraphe du Ballet National Espagnol, Lorenzo Ruiz lui avait déjà fait confiance à plusieurs reprises. Elle a avoué avoir été envahie par l’émotion en se sentant portée par la chaleur de ce moment quasi intime, familial pour elle. Aussi a-t-elle offert au moins autant si ce n’est plus que ce qu’elle fait sur les grandes scènes internationales qui l’accueillent désormais. La Lupi c’est un bouillonnement intense, un farfadet poétique, une vague de fond d’émotions et une magnifique clôture de saison d’hiver pour Amor Flamenco en attendant le festival d’été. Mais ça c’est une autre histoire …