Récemment encore, Hugues Aufray – l’interprète d’une multitude de tubes dans les années 60 à 80 : Santiano, Stewball, Céline, Hasta luego, L’épervier, Dès que le printemps revient, Adieu M. le professeur… – était à Port-Vendres, où il a séjourné pendant un long week-end chez Mme et M. le maire, Jean-Pierre Roméro, sur les hauteurs de Collioure, au Petit-Consolation.
Depuis l’an passé, depuis qu’il a exposé au Musée Maillol, à Banyuls-sur-Mer, les deux hommes ont tissé des liens solides. Ils ambitionnent une belle collaboration sur des sujets culturels. « Monsieur Projets », alias Hugues Aufray, comme ses proches l’on définitivement surnommé, fourmille d’idées pour Port-Vendres, qu’il devrait annoncer d’ici l’été prochain, aux côtés bien sûr de Jean-Pierre Roméro et de son épouse, Michèle, désormais 1ère adjointe de Collioure.
En attendant, Hugues Aufray a accepté de répondre à nos questions…
Le Journal Catalan : Qu’est-ce qui vous unit à la Côte Vermeille ? On a l’impression d’une existence sentimentale forte…
Hugues Aufray : Effective. Et c’est une longue histoire…
Mon père est divorcé. Il a divorcé avant la guerre, il a épousé une Espagnole. Il y a eu la guerre. L’absence de mon père ne nous a pas paru étrange, on ne savait pas qu’il était divorcé, on a mis ça sur le dos de la guerre…
Pour échapper aux Allemands il était parti en Espagne, nous, on était réfugié dans le Tarn. Où j’ai passé les cinq années de guerre, élevé à l’école de Sorèze… dans la fameuse école de Sorèze. Par la suite je vais rejoindre mon père en Espagne, pour terminer mes études, à Madrid.
Mais en attendant, lorsque mon père était en Espagne et que nous on était en France, pendant les vacances quand il voulait nous voir comme il ne pouvait pas sortir pour des questions de visa et de passeport, et que nous on ne pouvait pas entrer, il nous donnait rendez-vous à la frontière…
Nous on était en vacances à Canet-plage, je me souviens encore du tramway… et on était venu ici, puis deux ou trois fois comme ça… Du côté de ma mère, je suis Gascon, du Lot-et-Garonne, et quand on était dans le Lot-et-Garonne, papa disait samedi prochain je serai à Cerbère, je vous donne rendez-vous. On venait avec mon frère, qui m’accompagnait, qui était toujours avec moi, on était très très liés.
Mon frère avait à peine 1 an de plus que moi, mais il me servait de père, il était comme mon père. C’est lui qui m’a appris à lire et à écrire… Et quand on avait rendez-vous, dès fois on avait quatre à cinq heures à attendre la correspondance… Donc on arrivait, c’était l’été, au mois d’août… On allait se baigner à Collioure, puis après on traînait par là… et j’étais passé donc plusieurs fois devant Port-Vendres… Je me disais, c’est bizarre ici, car il n’y avait pas du tout la même atmosphère entre Banyuls, Collioure et Port-Vendres.
A Port-Vendres, on voyait des grues, on voyait des marins, des bateaux de pêche… J’avais remarqué déjà cette ville. Bref, les années passant, on allait voir papa à la frontière, il nous donnait un peu d’argent, il nous demandait des nouvelles de la famille… Et après nous rentrions dans le Lot-et-Garonne.
Les années ayant passé, voilà… Je suis parti à Madrid, où là j’ai voulu, j’ai découvert évidemment au Prado, la peinture de Velazquez, Goya, etc.-etc. J’ai hésité entre la peinture et la sculpture, mais je me sentais nettement plus doué pour la sculpture que pour autre chose… Quand j’ai terminé mes études, après avoir passé mon bac à Madrid, je suis revenu à Paris…
Mon père m’a alors dit Qu’est-ce que tu vas faire ? Je lui ai répondu je veux entrer aux Beaux-Arts… Il m’a dit Qu’est-ce que tu vas faire aux Beaux-Arts, tu vas perdre ton temps, ça va te mener à rien… Si, non, oui-non… Il n’a pas souhaité me suivre là-dedans. Et moi j’avais appris en Espagne à jouer un peu de guitare, je chantais en espagnol…
A l’époque, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer maintenant, et à ce qu’on peut voir dans toutes les gares et le métro, il n’y avait que les Gitans qui jouaient de la guitare…
J’ai tout de suite dit à mon père Je vais me débrouiller tout seul. J’avais dix-huit ans, et j’ai commencé à chanter comme ça… Jamais dans les rues ! Je n’ai jamais fait la quête. Mais j’ai très rapidement été invité à jouer dans les cabarets, j’ai commencé à faire de la musique, sachant que je ne pouvais pas être sculpteur.
LJC : Est-ce à ce moment-là que vous rencontrez la muse de Maillol, Dina Vierny ?
Hugues Aufray : Oui. Car j’avais quand même, à cette époque-là, d’une façon extraordinaire, été voir dans un magasin, une petite galerie qui venait de s’ouvrir, Dina Vierny Galerie, rue de Seine. J’ai été la voir, Je ne la connaissais pas, évidemment, elle m’a dit Bonjour jeune homme qu’est-ce que voulez ?… Cela faisait moins d’1 an qu’elle avait ouvert… Bonjour Madame, je voulais vous voir parce que je voudrais faire de la sculpture, je sais que vous avez posé pour Maillol, c’est un peu une curiosité, je voulais vous rencontrer… Ah elle me dit C’est gentil, etc., mais enfin mon petit vous savez que c’est très difficile… Bref, elle me serre la main, Bonne chance, allez-y !…
Là-dessus je commence à gagner ma vie, je me marie, j’ai des enfants, c’est le tourbillon de la vie…
Les années passent, j’ai 70 ans (1), je suis à Collioure pour une émission de télévision… Je dis après l’émission, je vais aller à Banyuls pour voir le Musée Maillol dont j’ai entendu parler et que je n’ai jamais vu.
Je découvre le Musée Maillol, magnifique, je parle avec le petit gardien… Je lui parle de mon aventure que j’avais été voir Dina Vierny quand j’avais dix-huit ans. Et il me dit Vous savez qu’elle est toujours vivante… Je luis dis Ah bon ! Quel âge elle a ?… Il ajoute : Si vous voulez la voir, elle est au restaurant à partir de 13h… Ce qui fut dit fut fait ! Je pa rs et je vais à l’heure où elle devait être au restaurant et je la vois. Et je me présente. Elle me reconnait en tant que chanteur, et je lui dis vous savez excusez-moi de vous déranger une nouvelle fois… Elle me répond : Mais c’est la première fois qu’on se voit ! Je lui dis : Non, ce n’est pas la première fois… J’avais dix-huit ans. Elle me dit : C’est pas vrai ! Je lui raconte l’anecdote, ça la fait rire, elle me regarde et elle me dit : Et alors la sculpture ? Je lui répond : Eh bien vous voyez j’ai raté ma vie !…
Elle me dit, Vous savez qu’il n’est pas trop tard… Je lui réponds : Vous plaisantez, j’ai soixante-dix ans ! Elle insiste : Non, il n’est pas trop tard, venez me voir à Paris… Etc.-etc.
Je vais la voir. Er je me remets à faire de la sculpture, et dix ans plus tard, j’expose au Musée Maillol à Banyuls.
C’est évidemment une aventure extraordinaire. J’espère que ce n’est pas une aventure sans lendemain. J’espère pouvoir maintenant organiser ma vie, continuer à faire des chansons, de la musique, pour gagner ma vie, je le dis bien. Car quand on me demande Mais pourquoi vous avez choisi la musique ? Je dis au début c’était pour m’amuser, puis à un moment donné je suis devenu un professionnel par hasard et par nécessité.
En tout cas, moi je suis devenue vedette par hasard et par nécessité.
Donc je vais continuer à faire des tournées, à chanter, à faire des disques.
LJC : Connaissez-vous le nombre de disque que vous avez vendus depuis ?
Hugues Aufray : Je ne sais pas répondre à ce type de question. Mais cela me permet de dire que malheureusement, on confond l’art et le sport.
Dans le sport, ce qui compte c’est le résultat. Le résultat c’est quand on vous fait courir sur 100 mètres, c’est d’arriver le premier. Vous ne pouvez pas tricher sur le 100 mètres. Vous pouvez tricher avec le chronométrage, mais si vous êtes arrivé le premier vous êtes arrivez le premier c’est indiscutable.
Et tout d’un coup on a introduit une notion de compétition dans l’art, ça c’est insupportable. On va vous dire dernièrement il y a un Picasso qui s’est vendu dix millions de dollars, plus qu’un Van Gogh… Cela a l’air de dire que Picasso est un meilleur peintre que Van Gogh, c’est inadmissible ! La compétition en art ne veut rien dire.
Que j’ai vendu des disques, oui, mais tellement moins que tellement de gens qui en ont vendu plus, que ça m’incite à être modeste, et tellement plus que des gens qui en ont vendu tellement moins, que je ne veux pas avoir la grosse tête. Donc je ne veux pas compter.
LJC : Et peut-on savoir combien de fois êtes-vous monté sur scène ?
Hugues Aufray : Je crois que l’année où j’ai fait le plus grand nombre de galas, c’était 280 dans l’année. Cela fait beaucoup. Mais ce qui est important c’est de dire que je n’ai jamais cessé de faire de la scène contrairement à ce que les gens pourraient croire.
J’ai eu de longues ruptures de communication médiatique, les gens ne parlaient plus de moi donc ça voulait dire que je n’existais plus, alors que j’ai toujours fait le plein – je touche du bois – dans les salles où je me produits. Je suis quelqu’un qui n’a aucune prétention, je suis heureux quand j’arrive sur scène, je n’ai pas du tout le trac, car je sais que les gens qui sont dans la salle sont là parce qu’ils m’aiment, et donc je ne vois pas pourquoi j’aurai peur de gens qui m’aiment.
J’aurai plutôt peur qu’il n’y ait personne, ou pas assez de monde pour que le type qui m’a engagé ne gagne pas sa vie…
En ce moment, je fais quand même 90 à 100 galas par an.
LJC : Comment décririez-vous aujourd’hui votre rapport à Port-Vendres ?
Hugues Aufray : Grâce à des projets… J’ai passé un an et demi à Saint-Jean-de-Luz, où nous passions toutes nos vacances avant guerre… Pendant la guerre, c’était à Canet-plage car c’était plus près pour moi puisque je faisais mes études à Sorèze.
Et j’ai découvert qu’il y avait des liens forts d’un bout à l’autre des Pyrénées. D’où l’idée avancée auprès de Jean-Pierre Roméro de faire un pont culturel entre le Pays Basque et le Pays Catalan, à travers pourquoi pas un jumelage de Port-Vendres avec Saint-Jean-de-Luz.
C’est un couloir naturel, les Pyrénées, qui unit les deux régions. Il ne les sépare pas, bien au contraire il les unit ! Vous êtes pareils tout en étant différents. Car chacun a sa langue, son identité, sa culture, des traditions, etc.-etc., et tous les deux, Port-Vendres et Saint-Jean-de-Luz, sont des ports de pêche !
Ce qui fait que quand je suis à Port-Vendres, j’ai l’impression que je trahi un peu Saint-Jean-de-Luz, et vice versa.
Mon grand père maternel est mort en 1939, à Noël, il était venu nous voir à Saint-Jean-de-Luz, juste avant la défaite, il est enterré à Saint-Jean-de-Luz donc, en plus de ça du côté de ma mère je suis aussi Béarnais… Gascon-Béarnais !
C’est deux endroits qui me touchent car ce sont deux pays qui sont fortement marqués… J’ai un autre point commun avec Port-Vendres, par Sidi Ferruch, parce que ma femme est d’origine marocaine, par sa mère, immigrée en Algérie elle est née à Oran, d’un père français, et quand elle est arrivée en France, elle est arrivée à Port-Vendres !
LJC : Pouvez-vous nous dévoiler un projet, une envie sur Port-Vendres ?
Hugues Aufray : Je ferai la Vénus ! Je sculpterai la Vénus. Parce que Portus Veneris, Port-Vendres le port de la Vénus pyrénéenne ! Evidemment, Maillol n’étant plus là, j’essaierai d’appeler Maillol à l’aide pour que son inspiration guide ma main, pour créer la Vénus de Port-Vendres. Et une fois qu’elle sera terminée la jeter dans le port pendant un laps de temps… et à un moment donné, lors d’une grande manifestation, on la sortirait du port comme si elle venait de l’Antiquité pour la mettre dans un endroit exceptionnel.
Mais ce qui m’a retenu ici quand même, car la première fois que je suis venu je n’ai fait que traverser Port-Vendres, c’était avec Jean-Pierre Roméro, je voulais voir le monument de Maillol, parce que tout le monde m’en avait parlé… Quand j’ai vu qu’elle était cassée, démolie, outragée, massacrée par une espèce de fou qui visiblement s’est acharné dessus à coups de marteau, j’ai dit à Monsieur le maire « ça il faut absolument qu’on la refasse !». Cela fait partie de mes projets en tant que sculpteur, ça on peut le dire… Je veux faire en sorte de participer à la résurrection de cette sculpture, de façon à ce qu’on ne laisse pas un sculpteur outragé de la sorte.
Propos recueillis par la Rédaction du Journal Catalan. (1) Hugues Aufray, auteur-compositeur-interprète, est né le 18 août 1929 à Neuilly-sur-Seine. Dina Vierny est née le 25 janvier 1919 à Chisinau (Moldavie), et décédée le 20 janvier 2009 à Paris. Elle a rencontré le célèbre sculpteur Aristide Maillol alors qu’elle n’avait que quinze ans. Elle fut la figure essentielle de son oeuvre. Elle a aussi posé pour de nombreux amis de Maillol : Matisse, Bonnard, Dufy…