Ce mot de paysan, trop souvent galvaudé, meurtri, moqué, prenait tout son sens hier au rond-point à l’entrée d’Estagel. Cette fierté d’être vigneron, paysan, était bien présente en cette fin de journée du vendredi 23 novembre. Fierté légitime d’appartenir à un monde de lève-tôt, infatigable à la besogne depuis des générations. Fierté de ne jamais baisser les bras devant l’adversité.
Aujourd’hui, leur seule perspective serait de travailler pour survivre avec un RSA sur la terre qui les a nourrit et avant eux leurs pères ? Ils ne sauraient l’accepter. Ils ne l’accepteront pas. Le dos au mur, on ne peut plus reculer. Il faut se battre. Tel est le sens, à notre avis, de leur mobilisation.
Nos vignerons crient leur détresse.
Tout ce qui compte de jeunes générations de vignerons était là, mais aussi les plus anciens et des retraités. Les adhérents aux caves coopératives, aux caves particulières, étaient bien présents dans une même confession pour dire non, « are n’y a prou ». Nous ne reculerons plus. C’est fini !
Et de nous montrer les friches, les landes, qui s’installent dans le paysage. Pas uniquement sur les coteaux, devait préciser Michel. Mais aussi sur les meilleures terres, celles qui possèdent les moyens d’être arrosées.
Michel devait renchérir en ajoutant que pour le village, ce n’était pas mieux. Les commerces ferment leurs portes les uns à la suite des autres. Le service public est en danger. La perception a déjà disparu. À quand le tour de la poste devait-il nous dire ? Sans prendre en compte pouvons nous rajouter, de temps à autre, la menace de fermetures de classes et le nombre trop important d’appartements vacants.
La ruralité en danger
En fait, c’est bien la ruralité qui est mise en cause. Qui est en danger.
Comment avec cette vision de l’environnement économique, ne pas vivre dans l’angoisse du lendemain ? Et puis existe la déprisse des terres agricoles. Les vignes ne se vendent pas. Personne n’en veut pour faire vivre une famille sur une exploitation familiale. En effet, la terre a de la valeur si ce qui est produit à de la valeur. Hors, malgré les efforts énormes consentis par les caves coopératives, les caves particulières pour aller vers toujours plus de qualité, tous les vignerons s’accordent à dire, que les rémunérations ne correspondent pas au travail fourni.
Michel devait exprimer sa fierté de voir les jeunes vignerons présents : « Croyez-moi, il n’y a aucun casseur. Aucun fainéant. Juste des jeunes qui veulent vivre ».
Mais les plus anciens, ne veulent pas faire de leurs enfants des esclaves. Ils ne veulent pas les voir devenir les jardiniers de l’espace, mal rémunérés. C’est monsieur Nallet, ministre de l’Agriculture d’alors, dans un des gouvernements Mitterrand, qui était venu donner cette perspective à Saint-Paul de Fenouillet.
Et oui, nous nous rappelons !
Dans le mouvement, le rôle des syndicats, des élus
Pourtant, des échéances électorales arrivent. Dans un premier temps, celles pour les Chambres d’Agriculture. Force est de constater, qu’aucun syndicat n’a été à l’initiative de cette manifestation. Dans cette situation de désert syndical, vers où se tourneront les regards des électeurs des différents collèges ? Voteront-ils ? Resteront-ils sur leur exploitation ? Ou alors et pourquoi pas, une liste de « Gilets jaunes ? L’avenir nous dira tout cela.
Du côté des élus politiques dans nos villages, ce n’est guère mieux. Pourtant, les élections municipales sont pour bientôt ; en 2020. Les édiles avaient un mouvement en préparation sous leurs yeux, ils ne l’ont pas vu. Faut-il qu’ils soient coupés de la réalité, coupés du monde du travail pour qu’il en soit ainsi ? Ou alors, en plein accord avec la politique développée par le président Macron ? Nous avons comme l’impression, que les participants au rassemblement sont en attente de réponses.
Dans cette situation, c’est certainement pour tout cela que dans le flyer distribué, il devait être précisé : « Oui, nous sommes des citoyens responsables. Non, nous n’avons pas besoin de donneurs d’ordre et encore moins de donneurs de leçons. Nous sommes grands, majeurs et vaccinés. Notre engagement ne sera récupéré par personne. Par aucun syndicat, aucun parti politique, aucun élu de quelques bords qu’il soit. Nous y veillerons ».
Des solutions, des perspectives, des propositions
« Vivre avec le RSA ? C’est l’avenir que nous proposent nos gouvernants depuis trop longtemps. Nous n’en voulons pas. Nous pensons mériter mieux. » Ce cri de colère exprimé, des propositions devaient venir dans les discussions comme celle du coefficient rémunérateur à mettre en place et des prix planchers fixés par l’État pour garantir de vrais revenus. Tout comme les cotisations, considérées à tort comme des charges, qui devraient être partout égales. Non pas alignées vers le bas, mais vers le haut. D’autres propositions, également, sont venues en discussion. Toutes, tournées vers la nécessité de donner les moyens à l’exploitation familiale de dégager un revenu permettant de vivre dignement, permettant de continuer à investir.
Pour en terminer, nous pouvons dire que les éternels grognons, ceux qui disent que rien ne sert à rien, n’étaient pas là. Mais les autres, tous les autres, les forces vives et sans trucage, ceux qui croient que leur pays a de l’avenir étaient bien présents. Un gage pour notre coin du Fenouillèdes, mais bien au-delà.
Une lueur d’espoir est née. Une lueur dans un monde que l’on voudrait nous faire croire obscur comme les ténèbres. Il n’en est rien. La vérité est toute autre.
Un vent nouveau est en train de souffler. Celui du vivre ensemble, de faire ensemble pour sortir de l’ornière. Voilà nous semble-t-il, un des enseignements à retenir de cette journée du 23 novembre 2018.
Joseph Jourda