La Jordanie vient de lancer un appel d’offres international pour l’achat de 120 000 tonnes de blé meunier, une décision qui souligne la dépendance alimentaire critique du pays. Avec seulement 3 à 5% de ses besoins alimentaires couverts par sa production locale, la Jordanie importe massivement pour nourrir sa population. Cette initiative s’inscrit dans un contexte économique tendu, où le déficit commercial agricole pèse lourdement sur les finances du pays. Quelles sont les implications de cet achat massif pour l’économie jordanienne et les marchés mondiaux des céréales?
Un appel d’offres révélateur des défis alimentaires jordaniens
L’appel d’offres lancé le 5 février 2025 pour 120 000 tonnes de blé n’est que la partie visible d’un besoin bien plus vaste. En 2022, la Jordanie a importé plus de 2,3 millions de tonnes de blé et d’orge, illustrant l’ampleur de sa dépendance. Le pays ne produit que 2,5% de ses besoins en blé, un chiffre qui met en lumière la fragilité de sa sécurité alimentaire.
Cette situation n’est pas nouvelle. En 2020/21, les importations de blé s’élevaient déjà à près de 1,2 million de tonnes. La tendance à la hausse des importations s’explique par une combinaison de facteurs :
- Une croissance démographique soutenue
- Des ressources en eau limitées
- Des terres arables peu étendues
- Des défis climatiques croissants
Impact économique : un équilibre délicat à trouver
L’achat massif de blé par la Jordanie a des répercussions multiples sur son économie :
Pression sur les finances publiques
Avec un déficit de la balance commerciale agricole de 4,4 milliards USD en 2022, l’achat de 120 000 tonnes de blé représente une dépense supplémentaire significative. Selon les prix actuels du marché, cette transaction pourrait coûter entre 30 et 40 millions USD au gouvernement jordanien.
Stabilisation des prix intérieurs
L’objectif principal de cet achat est de maintenir des prix abordables pour les consommateurs jordaniens. En 2013, le pays avait déjà connu une forte inflation des prix alimentaires. La stabilité des prix du pain est cruciale pour éviter les tensions sociales.
Impact sur le secteur agroalimentaire local
Le secteur agroalimentaire jordanien, qui a importé pour 4 milliards de dollars d’ingrédients en 2020, verra ses coûts d’approvisionnement fluctuer en fonction du prix d’achat obtenu par le gouvernement. Les entreprises de transformation du blé devront s’adapter à ces nouvelles conditions.
Stratégies gouvernementales pour renforcer la sécurité alimentaire
Face à ces défis, le gouvernement jordanien a mis en place plusieurs initiatives :
Le Plan National pour l’Agriculture Durable (2022-2025)
Ce plan vise à augmenter la productivité du secteur agricole et à améliorer les conditions de vie des agriculteurs. Il inclut des mesures telles que :
- Des prêts préférentiels pour les agriculteurs
- La rupture des monopoles pour réduire les coûts de production
- Des investissements dans les technologies agricoles modernes
Diversification des partenariats commerciaux
La Jordanie cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement. L’accord conclu avec l’Union européenne en 2017 sur les règles d’origine ouvre de nouvelles perspectives commerciales. En 2022, les exportations françaises de produits agricoles et agroalimentaires vers la Jordanie ont augmenté de 77,9%, atteignant 67,9 millions d’euros.
Implications pour les marchés mondiaux des céréales
L’achat jordanien de 120 000 tonnes de blé, bien que significatif pour le pays, ne représente qu’une fraction du commerce mondial des céréales. Cependant, si cette tendance se généralise parmi les pays importateurs, l’impact cumulatif pourrait être substantiel.
Pression potentielle sur les prix
Le 18 janvier 2025, le cours du blé tendre était de 223 €/t. L’annonce de l’appel d’offres jordanien pourrait contribuer à une légère hausse des prix, en particulier si d’autres pays suivent cette stratégie d’achat anticipé.
Réorientation des flux commerciaux
Les principaux exportateurs de blé pourraient ajuster leurs stratégies commerciales en fonction de cette demande accrue des pays du Moyen-Orient. Cela pourrait entraîner une réorientation des flux commerciaux mondiaux de céréales.
Perspectives et enjeux futurs
L’achat massif de blé par la Jordanie met en lumière plusieurs défis à long terme :
Dépendance alimentaire et vulnérabilité économique
La forte dépendance aux importations rend la Jordanie vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement. Réduire cette dépendance reste un défi majeur pour les années à venir.
Changement climatique et production agricole
Les experts soulignent l’importance pour la Jordanie de s’adapter au changement climatique. Le développement du secteur des énergies renouvelables, comme le projet de centrale solaire de Masader El Haq d’une capacité de 100 mégawatts prévu pour fin 2025, est considéré comme une stratégie clé pour l’indépendance énergétique du pays.
Réformes structurelles nécessaires
La Banque mondiale insiste sur la nécessité pour la Jordanie de créer les conditions adéquates pour stimuler les investissements privés et améliorer la compétitivité. Ces réformes sont essentielles pour enclencher une croissance durable et créer des emplois.
En conclusion, l’appel d’offres de la Jordanie pour 120 000 tonnes de blé est bien plus qu’une simple transaction commerciale. Il révèle les défis complexes auxquels font face de nombreux pays du Moyen-Orient en matière de sécurité alimentaire et de développement économique. La capacité de la Jordanie à naviguer entre dépendance aux importations et développement de sa production locale sera cruciale pour son avenir économique et social. Les stratégies adoptées par le pays pourraient servir de modèle ou de leçon pour d’autres nations confrontées à des défis similaires dans un monde où la sécurité alimentaire devient un enjeu géopolitique majeur.