A Perpignan, à Pia, à Thuir, à Passa, à Saint-Estève, à Saint-Feliu d’Avall, à Corbère, … , il y a une place, une avenue, une rue ou une école portant le nom de Louis Torcatis. Mais bien peu de gens dans la rue, dans les commerces, dans notre entourage, savent qui était vraiment Louis Torcatis. Il est bon, par les temps qui courent, de se remémorer ceux qui ont su se montrer exemplaires.
Louis Torcatis naît à Tautavel en 1904. Il est fils de cultivateur, plus précisément de métayer. Il passe son enfance à Pia, entre à l’Ecole Normale de Perpignan et devient instituteur en 1926. Il enseigne successivement à Sauto, Montalba, Codalet, Pia, Passa puis à Saint-Estève. Communiste, humaniste, esprit libre, et même trop libre, il est exclu du PCF en mars 1939. Il est mobilisé la même année en tant que lieutenant et combat dans l’est de la France, notamment près de Bar-le-Duc. Il est fait prisonnier en juin 1940 mais parvient à s’évader au cours de son transfert vers l’Allemagne en sautant d’un train après en avoir découpé le plancher. Il retrouve en zone libre son poste d’instituteur mais ne peut se résoudre à la défaite, hanté par le souvenir de ses camarades de combat restés prisonniers. Alors dès la seconde quinzaine du mois d’août 1942 (1) il s’engage dans la Résistance sous les noms de guerre de ‘Torreilles’ puis ‘Bouloc’ et enfin ‘Dancla’. En novembre 1942 les Allemands entrent dans Perpignan.
En février 1943, les trois grands mouvements de résistance de la zone Sud, Combat, Libération et Franc-Tireur s’unifient et, en même temps, le premier maquis se constitue à Caixas. La sinistre Milice des Pyrénées Orientales est créée le même mois. Louis Torcatis prend le commandement départemental de l’Armée secrète des Pyrénées-Orientales. Le responsable de son Service de Renseignement est Gilbert Brutus (1887-1944). Le groupe est en charge de la réception de parachutistes, de leur sauvetage et de l’organisation de filières d’évasion vers l’Espagne. Il a plus de 4 000 passages à son actif. Torcatis supervise le sabotage de tout ce qui permet à l’occupant de s’accaparer des ressources et des moyens de production français forcés de participer à l’effort de guerre allemand. Il fait, entre autres, sauter des locomotives en gare de Béziers dans l’Hérault. Et son Armée secrète se charge également de l’exécution des jugements prononcés par le tribunal militaire (Londres).
Les maquisards descendent en ville
Dénoncé une première fois, Louis Torcatis échappe de justesse à deux agents de la Gestapo et doit se réfugier avec sa famille dans l’Aveyron où il vit dans la clandestinité. Il est nommé lieutenant-colonel des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) au tout début de 1944. Il est dénoncé une seconde fois en mai 1944 : il croit aller au devant d’un envoyé de Londres arrivant d’Alger. En fait il tombe dans un guet-apens à Carmaux, dans le Tarn, où il avait reçu pour mandat de poursuivre sa mission.
Menotté dans le dos par les adjoints de l’intendant de police Pierre Marty venus de Toulouse, Torcatis percute un de ses assaillants et parvient à s’échapper mais se fait grièvement blesser dans sa course désespérée. Ses agresseurs s’enfuient, le laissant pour mort. Il réussit toutefois à avertir ses camarades de clandestinité du danger qu’ils encourent. Il meurt le lendemain matin à l’hôpital des mines (aujourd’hui clinique Sante-Barbe). Trois semaines avant le débarquement en Normandie, dans un climat d’insurrection, ses obsèques sont suivies par plusieurs milliers de personnes (2). Les maquisards descendent en ville et dissimulent à peine leurs armes sous leurs vêtements. La foule entonne la Marseillaise à la suite de l’hommage vibrant que l’abbé Freyssinet rend au résistant tombé pour son pays.
D’abord inhumée sur place à Carmaux, la dépouille de Louis Torcatis est transférée – il y a 70 ans de cela – le 2 juin 1945 à Pia, en terre catalane avec les honneurs militaires. Sa tombe, discret caveau familial, porte ces simples mots : « Torcatis Louis Directeur d’Ecole Mort pour la France le 18 mai 1944 à l’âge de 40 ans Regrets » le tout orné d’une minuscule cocarde tricolore. Les plaques commémoratives méritent un bon rafraîchissement. C’est un peu comme si le temps voulait effacer lentement tout souvenir.
Divers monuments perpétuent la mémoire de Louis Torcatis : une stèle à Carmaux et un monument très sobre réalisé par l’architecte Cyprien Lloancy place de Catalogne à Perpignan. Torcatis est aujourd’hui considéré comme « le Jean Moulin catalan ». Il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur et Compagnon de la Libération. Par ailleurs, il reçoit la Croix de guerre 39/45 avec palme et la Médaille de la Résistance. Sa veuve, née Jeanne Balent, crée en 1945, avec une coopérative d’enseignants et un certain nombre d’éditeurs et de papetiers, la fameuse librairie Torcatis, rue Mailly à Perpignan. Epaulée par son beau-frère Joseph, elle tient cet établissement jusque dans les années 60. Elle décède le 20 novembre 1994. Elle rejoint ainsi son époux, mort 50 ans avant elle, et repose désormais tout à côté de lui. « Les femmes sont les grandes oubliées de l’Histoire, parce que celle-ci a été rédigée par les hommes » nous dit la militante Michelle Perrot. Soulignons, et n’oublions jamais, l’important travail clandestin durant la Résistance effectué par Jeanne Balent Torcatis aux côtés de son mari.
Du temps où l’on témoignait respect et considération aux maîtres d’école
On pourra lire la biographie de Louis Torcatis, écrite par Etienne Llauro et intitulée « Torcatis « Bouloc » Destin d’un humaniste 1904-1944 », biographie publiée aux Editions Loubatières en 1998. Le livre est disponible dans nombre des nouvelles médiathèques qui ont éclos dans notre département. C’est une biographie prodigieusement captivante et d’une intelligence rare qui hisse son auteur, Etienne Llauro, au même rang que les Courrière (Joseph Kessel) ou Lacouture (De Gaulle).
Llauro, originaire de Passa et instituteur pendant 30 ans à Canet, ne se contente pas d’égrener les moments importants de la vie de son sujet, il analyse de manière pertinente le contexte historique et les enjeux politiques des années 20 et 30, le communisme, le stalinisme, le trotskisme, la guerre d’Espagne, … Le tout dans un style clair, précis et passionnant. Il livre un tableau bien documenté de ce que fut la Résistance dans les Pyrénées Orientales et ce qu’on appelait la Région 3. Il nous rappelle également qui étaient Gabriel Péri, Martin Vivès, Gilbert Brutus, Gilbert de Chambrun. Il nous dit combien ces hommes-là ont su se montrer exemplaires.
Etienne Llauro brosse un portrait très émouvant de Louis Torcatis, instituteur passionné, sportif (il joua au rugby à l’Usp ancêtre de l’Usap), bricoleur de génie, musicien compositeur et poète (il fut chef de chorale et de fanfare), humaniste, militant démocrate ignorant le sectarisme (ce qui lui valut des soucis), polémiste (il écrivait des chroniques dans le journal Le Travailleur Catalan), pédagogue charismatique et adoré de ses élèves, soldat, chef, organisateur et patriote. En filigrane, ce livre, que l’on dévore véritablement, nous donne aussi à voir ce que furent les instituteurs de village, du temps où ils s’appelaient maîtres d’école et où on leur témoignait respect et considération.
(1) Source : Roger Justafré-Parent – ‘Un Catalan héros de la Résistance régionale Louis Torcatis Bouloc’ – avril 1998 – page 33.
(2) Jean Rifa, dans son livre ‘30 destins roussillonnais’ – Alliance Editions – donne le chiffre de 10 000 participants. Etienne Llauro donne le même chiffre et Roger Justafré-Parent évoque un cortège d’au moins 6 000 personnes. En tous cas, ni la Milice ni les Allemands n’osèrent se montrer dans la localité ce jour-là.
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