Quoi de plus beau que le silence ou le chant des oiseaux ? Aujourd’hui le Journal Catalan vous emmène pour une belle promenade et une visite de l’un des nombreux joyaux des Pyrénées Orientales. Le point de départ est à 57 kilomètres à l’ouest de Perpignan, plus précisément à Casteil, un petit village au sud de Villefranche-de-Conflent, dans le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes.
Les oiseaux s’en donnent à cœur joie. Trilles, trémolos, vibratos, ils vous accompagnent tout le long du chemin très pentu. Calme. Sérénité. Pas d’autre son, à part le bruissement d’un ruisseau qui dévale le long de la montagne puis va suivre des canaux d’irrigation dans les champs, en bas.
Vous quittez le petit village de Casteil, dans la vallée du Cady, et vous grimpez lentement en direction de la forêt des Mariailles. Le mieux bien sûr est de partir le matin quand il fait encore frais. Vous traversez de très beaux boisements de chênes, de frênes et de châtaigniers qui ont colonisé par endroits d’anciennes terrasses soutenues par des murets de pierres sèches. Le chemin est un peu dur comme pour vous préparer à apprécier la récompense de l’arrivée.
A mi-chemin, vous découvrez la chapelle Saint Martin Le Vieux (Sant Marti lo Vell). Bien qu’assez éloignée du village, elle était en fait la première église paroissiale de Casteil. Abandonnée, elle a été presque intégralement reconstruite entre 1977 et 1979. De là, vous avez un magnifique point de vue sur la vallée et sur les villages de Casteil et, au loin, de Vernet-les-Bains.
Petit à petit vous vous sentez envahis d’une énergie nouvelle. Ascension longue, éprouvante, mais nécessaire. Et puis, au détour du chemin, entre les feuillages, vous apparaît l’abbaye Saint Martin du Canigou.
L’abbaye Saint-Martin du Canigou (Abadia de Sant Martí del Canigó) se trouve à 1055 mètres d’altitude en plein cœur de la montage – sur les franges ouest du massif – . Sa construction débute en l’an 997 sur l’initiative du comte Guifred II, arrière-petit-fils de Guifred le Velu. L’abbaye est dédiée à Marie et aux saints Martin et Michel. Saint Michel que l’on voit terrasser ‘son’ dragon sur une des fontaines du site.
Elle est bâtie sur un piton rocheux probablement sur un site mégalithique. On se souvient que Saint Martin (316-397) avait l’habitude de détruire les mégalithes et les sanctuaires païens pour y construire à la place des églises et des ermitages.
Le monastère du Canigou est consacré en novembre 1009 par l’évêque d’Elne. Ce sont des moines bénédictins qui vivront là, suivant la volonté de Guifred II, « afin que l’on y serve désormais le Dieu tout-puissant à perpétuité ».
Il est capital, pour le rayonnement d’une abbaye, de posséder des reliques de saints. Saint Martin du Canigou n’en a point à son origine. Armer et envoyer des hommes à la conquête de reliques est chose courante à l’époque, même pour des religieux. Sur l’initiative de Guifred II, des moines et des hommes en armes dérobent donc, en 1014, à l’occasion d’une expédition, les reliques de saint Gaudérique à l’église saint Sernin de Toulouse. (Beaucoup plus tard – au XVIIIème siècle – ces reliques se retrouveront à la cathédrale de Perpignan). Il est d’usage de prier Saint Gaudérique pour faire pleuvoir ou, au contraire, pour faire cesser la pluie.
L’église de Saint Martin du Canigou est en réalité constituée de deux églises superposées. L’église inférieure (ou la crypte) est dédiée à » Notre-Dame-sous-terre » suivant là une antique tradition chrétienne.
L’église inférieure comporte dix travées. L’abside et les deux absidioles sont taillées dans la roche. Cette partie remonte vraisemblablement à la consécration de 1009, mais certains archéologues la font remonter au VIIIème siècle au temps des carolingiens.
L’église supérieure est dédiée à saint Martin. Elle comporte trois nefs et est éclairée par des ouvertures étroites côté sud. Elle est consacrée en 1026, une fois les travaux terminés et après « l’acquisition » des reliques de saint Gaudérique. Sa construction nécessite toutefois le renforcement des colonnes de l’église inférieure, qui sont englobées dans des piles carrées.
Le comte Guifred II de Cerdagne, au soir de sa vie, se fait moine et rejoint, en 1035, la communauté bénédictine qu’il avait fondée. C’est lui-même qui aurait creusé sa tombe dans le roc du Canigou, tombe que l’on peut voir à côté de l’église. Il meurt en juillet 1050.
Le 2 février 1428, un grand tremblement de terre – dont les secousses sont ressenties aussi bien à Perpignan qu’à Barcelone – fait beaucoup de dégâts en Catalogne et met sérieusement à mal le monastère. Plusieurs bâtiments sont détruits, une des deux tours-clochers s’effondre, le clocher rescapé est écrêté cependant que l’église résiste tant bien que mal. Ces dommages subis par l’abbaye Saint-Martin du Canigou marquent en fait le début de son déclin.
Les travaux de reconstruction après le tremblement de terre sont très longs en raison de l’insuffisance de moyens. Les terres possédées par l’abbaye, et donc les revenus engendrés, ne permettent pas de tout reconstruire.
Des conflits sévères jalonnent l’histoire de l’abbaye Saint Martin du Canigou. Les malheurs s’enchaînent : mise à sac par des mercenaires, pillage par les deux armées des rois d’Aragon et de Majorque qui se font la guerre pour conquérir cette région…
…L’abbaye décline lentement, notamment à partir de son passage sous le régime de la commende, lors de son rattachement à l’abbaye de Lagrasse dans l’Aude.
Un nouvel abbé tente bien d’effectuer des réparations à partir de 1698 sur les bâtiments (déjà bien abîmés par le tremblement de terre de 1428) mais ceux-ci continuent de se dégrader tout au long des années suivantes.
A la fin du XVIII ème siècle, ne vivent plus dans l’abbaye que cinq moines âgés et malades.
En 1783, la communauté est dissoute. Les cinq derniers moines quittent l’abbaye qui est alors officiellement fermée en 1783. Les reliques de saint Gaudérique sont transférées à Perpignan et les objets du culte sont répartis entre les diverses paroisses environnantes.
Autrement dit : la Révolution n’est pour rien dans la ruine de l’abbaye, contrairement à ce prétend une autre version de son histoire.
Pendant le siècle qui suit, l’abbaye souffre des intempéries et des pillages par les habitants de la région. C’est la désolation : les toits et les murs s’écroulent, certains chapiteaux sont volés. C’est l’abandon complet pendant 120 ans. L’abbaye sombre dans l’oubli et ce, jusqu’au début du XXème siècle.
Au début du XXème siècle l’abbaye est une véritable ruine, mais dès 1902, l’evêque de Perpignan, monseigneur de Carsalade du Pont, la rachète et entreprend de diriger sa restauration. Il y consacre alors le restant de sa vie. Il lance un appel aux fidèles, échangeant « quarante jours d’indulgence » contre des fonds pour la restauration du lieu et rassemblant les éléments, ayant appartenu à l’abbaye, dispersés dans la région.
Ces premiers travaux durent jusqu’au décès de l’evêque de Perpignan en 1932. Ils sont repris en 1952 par le père Bernard de Chabannes, moine bénédictin de l’Abbaye d’En Calcat (Tarn) qui achève la restauration en 1971.
La grande majorité des bâtiments est ainsi totalement reconstruite sur les vestiges subsistants. Seule la crypte, la chapelle et le clocher sont d’origine. La tour-porche ne fait plus que 19 mètres. Le crénelage date de la reconstruction.
La galerie sud du cloître est ouverte sur la montagne par des baies comprenant trois arcades. Les chapiteaux sont pour la plupart à décor profane. Certains représentent la danse de Salomé et une procession liturgique. Les pierres tombales, de style gothique, de trois des abbés de Saint-Martin sont insérées dans les piliers du cloître.
L’aile méridionale des bâtiments conventuels ayant totalement disparu, cette galerie sud, ouvrant sur le précipice, a donc été reconstituée en utilisant des chapiteaux en marbre blanc du XIIème siècle et d’autres en marbre rose du XIIIème siècle.
Si vous souhaitez profiter d’une vue d’ensemble de ce superbe site, il vous faut de nouveau grimper à travers la forêt jusqu’au belvédère qui surplombe le monument.
L’abbaye appartient au Diocèse de Perpignan et, depuis juillet 1988, elle est occupée par une nouvelle communauté, appelée Communauté des Béatitudes qui rassemble en son sein des fidèles de toutes conditions de vie, familles, célibataires, prêtres, frères et sœurs consacrés. (Cette communauté connaît, depuis le printemps 2011, au niveau national, une restructuration après quelques soucis de « dérive » et après s’être séparée de son fondateur.)
Lors d’un séjour d’une semaine, au cours du mois de juillet de l’année 1883, le poète Jacint Verdaguer s’imprègne de ce paysage magique, des bois et des sentiers qui entourent l’abbaye et qui mènent au Canigou. C’est là qu’il finit de composer son très long poème, intitulé ‘Canigó’, qu’il a en tête depuis des années, et qui contribue à faire de cette montagne le symbole de la terre catalane.
Lo Canigó és una magnòlia immensa
que en un rebrot del Pirineu se bada ;
Le Canigou est un immense magnolia
s’épanouissant sur un rejeton des Pyrénées ;
ses abeilles sont les fées qui l’entourent,
et ses papillons, les cygnes et les aigles.
Des crêtes écorchées forment son calice,
d’argent l’hiver, et d’or l’été,
grandiose verre où l’étoile boit des parfums,
l’air la fraîcheur et les nuages l’eau.
Les forêts de pins sont ses étamines
et les étangs ses gouttes de rosée
et son pistil est ce palais d’or,
rêve de nymphe qui descend du ciel.
Jacint Verdaguer – ‘Canigó’ (court extrait) – Tipografia Catòlica, Barcelona.
Voilà, sans photographies retouchées ni fioritures, ce trésor de notre département, tel que vous le découvrirez si vous suivez nos petits conseils :
□ Partez de bon matin
□ Assurez-vous que la météo sera favorable (de la brume, un temps couvert ôteront du charme à votre balade)
□ Ne fumez pas avant d’entreprendre cette ascension (vous le regretteriez en cours de route)
□ Prévoyez un petit pique-nique dans votre sac (des tables et bancs de bois sont à votre disposition au sommet)
□ Des visites guidées de l’abbaye sont prévues (à raison de trois le matin et de quatre l’après-midi).
Ces photographies sont © www-lejournalcatalan.com
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