Michel Adroher, maître de conférences en langue et littérature médiévales, professeur de langue et littérature du Moyen Age à l’université de Perpignan. Il est le lauréat du prix Vendémiaire 2013 avec « Les Troubadours roussillonnais ». Suite la lecture d’un article dans le numéro 61 (25 octobre – 7 novembre 2014) , Michel Adroher nous apporte ses « Réflexions sur les appellations Roussillon et Pays Catalan » :
« Le nom du « Journal Catalan » dont je suis un fidèle lecteur ne saurait être le fruit du hasard, du caprice, de la démagogie, ou pire encore du marketing. C’est du moins ce que j’avais toujours pensé. Or, dans le numéro 61 (25 octobre – 7 novembre 2014), la lecture d’un article de Jean-Michel Martinez (Lire l’article) au sujet de la dénomination de la nouvelle entité régionale qui se dessine est venue bousculer cette certitude.
« Quelle place pour l’appellation Roussillon dans la future région issue de la fusion de Midi – Pyrénées et du Languedoc – Roussillon ? », titre monsieur Martinez, qui ajoute, ironique : « Sûr que c’est là un sujet de préoccupation majeur… quand les habitants ont de plus en plus de mal à boucler leur fin de mois ! » Voilà la pierre d’achoppement. Permettez-moi de revenir au premier degré et de renverser la proposition : c’est précisément parce que « les habitants ont de plus en plus de mal à boucler leur fin de mois », que « c’est là un sujet de préoccupation majeur ». Faut-il que, systématiquement, la gravité de la conjoncture économique justifie que l’on élude d’autres considérations également importantes ? Pour être crucial le débat sur la situation financière de nos concitoyens doit-il occulter toute autre préoccupation ? Ce serait ajouter à « l’horreur économique » le poids de l’autocensure. En réalité, un problème peut en cacher un autre. Qui nierait que les Pyrénées-Orientales souffrent d’un déficit d’image préjudiciable à l’activité touristique et économique du territoire ?
Écoutons Evelyne Dhéliat présenter son bulletin météo : « Beau temps sur le Pays basque ; grisaille du côté de Perpignan ». Le temps se lèvera, les entrées maritimes se dissiperont, mais « du côté de Perpignan » nous resteront plongés dans cette purée de pois médiatique qui nous colle à la peau. Le Pays basque affiche sa différence : il existe. Qu’attend le Pays catalan pour s’affirmer à son tour ? Faisons voir, entendre et sentir ce caractère spécifique que, dans son fameux « Tableau de la France », le grand historien Jules Michelet a magistralement exprimé : « Deux peuples à part, qui ne sont réellement ni Espagnols ni Français, les Basques à l’ouest, à l’est les Catalans et Roussillonnais, sont les portiers des deux mondes. »
S’affirmer c’est « se faire un nom », autrement dit asseoir de façon pérenne son identité et sa réputation. Le Roussillon s’est fait un nom qui, n’en déplaise à certains, ne se réduit pas à un pot de Yaourt aux abricots, pas plus que le Canigou ne se laisse enfermer dans une misérable boîte de pâtée pour chiens ! Travaillons à renforcer notre identité et à forger notre réputation.
Il est faux de dire que « pour tout le monde la Catalogne commence sur la Costa Brava, après la frontière espagnole », nombre de mes étudiants Erasmus, venus de tous les horizons, pourraient témoigner du contraire. Si cependant il en était ainsi, il nous appartiendrait de nous mobiliser afin de réparer cette perception dont nous serions les seuls responsables.
Selon monsieur Martinez, « l’appellation Roussillon à l’heure de la mondialisation est trop restrictive ». Soit. Optons alors pour « Pays catalan ». Qui oserait prétendre que l’adjectif catalan ne possède, pour parler selon la mode du temps, « aucune lisibilité » ? Le maire de Perpignan, affirme-t-il, a raison de proposer Pyrénées-Méditerranée. Qui dit que, vus depuis la Chine, l’Inde ou l’Amérique, les Pyrénées soient plus faciles à situer par le commun des mortels que les Appalaches, les monts Oural ou les Alpes de Transylvanie… Loin de constituer la traduction d’une vision universelle, cette définition strictement géographique de l’identité d’un territoire trahit une conception bien étriquée, bien française et bien jacobine de la nation « solidement défendue par ses frontières méridionales » (Elisée Reclus, Nouvelle Géographie Universelle). Pourquoi les caractéristiques physiques d’une région devraient-elles primer les dimensions historique, culturelle et linguistique que cristallise un nom hérité d’une tradition séculaire ? On s’étonne que, sous couvert de « lisibilité », les autochtones n’aient pas déjà rebaptisé la Province de Québec, Région Bouclier canadien – Atlantique ; l’Andalousie, Région Sierra Nevada – Méditerranée – Atlantique ; la Crimée, Région Monts de Crimée – Mer Noire ; la Corse, Région Mer Méditerranée – Mer Tyrrhénienne… Sans méconnaître la nécessité d’attirer sur nos côtes les amateurs de bronzette et sur nos montagnes les adeptes de la glisse, ne peut-on aussi considérer que le « consommateur » auquel on s’adresse est un humain sensible à l’expression de la diversité culturelle et pour lequel les appellations Pays catalan et Languedoc (empruntées à deux peuples et à deux langues romanes de prestige) signifient quelque chose ? Doit-on faire du Mac Do touristique et vendre notre âme au sacro-
saint marketing ? Vendre notre âme, passe encore. Que d’autres la vendent pour nous, voilà qui est inacceptable.
Un dernier mot : l’absence de toute référence au « Pays catalan » dans le nom de la future région plongerait dans un no man’s land toponymique l’aire de diffusion du « Journal Catalan » qui se verrait dans l’obligation de changer de titre. Pourquoi pas « Journal de Nulle Part », traduction littérale du mot utopie ? Le Pays catalan n’est pas une utopie. Il existe.
Le « Journal Catalan » se devrait, à chacune de ses éditions, de le faire exister davantage. »